Jean, l'aspirant traileur : Marathon du Montcalm 2018


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- Ils ont prévu la neige cette nuit, fit le Rameau tandis que la Brindille se décomposait et que des seaux d'eau se déversaient sur le village d'Auzat. Et demain, températures négatives. -5°.
- Quoi ? rétorqua la Brindille qui devenait de plus en plus pâle. De la neige ? Du froid ? Non mais ça va pas ? On est en août ! J'ai juste pris mon maillot de bain ! Pas question que je prenne le départ. Je suis certaine que c'est la faute à Jean. Un vrai chat noir, celui-là !

Gab, le sourire d'une oreille à l'autre, était aux anges.

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Le traineau arriva à toute berzingue et les rennes durent freiner des quatre fers pour le stopper. Le gros bonhomme rouge bondit du véhicule et entra dans la piaule de Gab, bougeant son énorme ventre avec une vitesse étonnante. Une grosse baffe fit voler l'ange qui se retrouva sur les fesses.
- Tu arrêtes tes conneries, dit le Père Noël. Tu t'es bien marré sur le Trail du Grand Vignemale. Maintenant, c'est fini. Tu laisses Jean tranquille et tu le laisses faire sa course. Pas de pluie, pas de neige, pas d'orages. On est bien d'accord ?
D'un signe de la tête, se tenant sa joue rougie, Gab acquiesça.

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Jean était à Auzat, au départ du Marathon du Montcalm. Comme à sa nouvelle habitude, il était en fond de meute. Devant, emmitouflée dans une parka, une cagoule, des gants et des après-ski, la Brindille se préparait pour sa petite randonnée dominicale.

C'était parti. Plat. Petite montée. Plat. Jean courait. A son rythme. Disons qu'il trottinait.
- Jusqu'ici tout va bien, dit le cœur.
- Bizarre ce profil de course, fit le cerveau. Ça va forcément monter à un moment.
- Bien vu, Sherlock ! ironisèrent les jambes. Quelle intelligence ! Quel sens du raisonnement ! Heureusement que l'on compte plus sur nous que sur toi pour nous amener au bout.
- Ça, ça reste à prouver, rétorqua le cerveau.

Jean arriva au ravitaillement de l'Artigue. La montée vers les sommets commençaient réellement ici et le parcours se redressa fortement. Avec l'aide de ses bâtons, Jean grimpait. A son rythme. Disons qu'il se trainait vers le haut.

Le petit traileur croisait des bénévoles partout. Une invasion de bénévoles. Ils avaient dû se reproduire dans la nuit. Tous les deux mètres, il y avait également un ravito. L'organisation avait eu une promo sur les tucs, les oranges et les bouteilles d'eau. Elle profitait du marathon pour s'en débarrasser.

La course effectuant un aller-retour, Jean s'attendait à voir débouler, dans le sens inverse, une parka-cagoule avec la Brindille dedans. Ce fut Bip-Bip, une autre coureuse du club, qui passa en trombe. Jean s'enrhuma.

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- Un petit peu de brume par ci. Un petit peu de brume par là, chantonnait Gab du haut de son nuage en parsemant la montagne ariégeoise de moutons nuageux. Jean ne verra pas ceci. Jean ne verra pas cela. Pas de pluie, pas de neige, pas d'orages. Jean en sera vert de rage. Le gros barbu écarlate n'aura rien à  dire. Et le beau Gaby sera mort de rire.

Le traineau déboula devant la porte de Gab et le Père Noël fit une entrée fracassante. L'ange se retrouva sur les fesses, la joue marquée par cinq gros doigts.
- Mais... mais... bredouilla Gab. J'ai fait ce que tu as dit.
- Ne me prends pas pour plus bête que je suis, répondit le Père Noël en quittant la pièce.

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Jean sortit de la brume. Le soleil resplendissait. La vue était merveilleuse. Un univers minéral. Le Paradis.
- Pfff, ridicule, fit Gab en levant les yeux au ciel.

- Trop dur, se plaignirent les jambes. On n'en peut plus. Allez, on arrête là et on se fait rapatrier par l'assurance.
Jean était à un petit col, au pied du sommet du Montcalm. Exténué, il fit une pause-compote. Celle-ci se déversa dans son gosier, se fraya un chemin jusqu'à l'estomac. Un pur délice. Un moment de bonheur. A ce moment précis, il aurait pu voler la compote de n'importe quel mioche qui serait passé par là. Sans état d'âme.

- Tu restes là. Tu ne bouges pas. Je reviens te prendre tout à l'heure, fit Jean en posant son cerveau sur le bord du chemin.
Jean reprit son ascension. Dur. Difficile. Violente. Mais le Montcalm fut atteint. Fabuleux. Jean s'arrêta et profita de l'instant présent. Peu après il reprit son chemin et partit à l'assaut du deuxième sommet. Le Pic d'Estats. Nouvel arrêt. Nouveau bonheur. A ses pieds, les nuages ondulaient et laissaient entrevoir des paysages merveilleux.

- Merci les bâtons de m'avoir aidé à monter ici, fit Jean en les embrassant amoureusement.

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- Putain de bâtons de merde ! s'écria Jean. Toujours à se coincer partout !

Jean descendait.

Il ne descendait pas pour aller vite. Non, non. Il descendait pour rentrer vivant. C'était un but en soi. Tout aussi louable qu'un autre. Nombreux étaient les passages sur de grands rochers lisses et humides. Ou entre des cailloux étroits aux arêtes pointues et sournoises qui n'attendaient que la faute du coureur pour venir se planter direct dans les fesses. Le caillou était méchant. Fourbe et méchant.

Jean arriva au Refuge de L’Étang du Pinet. La suite fut plus facile. Moins technique. Jean, bien reposé par sa descente lente... très lente... très très lente... remit le moteur en route. Carburant diesel, évidemment.

Stop ! Pause pipi. Après trois gouttes d'un truc bien jaune qui brûla la végétation, il fallait tout ranger et repartir.
- Ouch ! Aïe ! Ouille ! Faudrait savoir ! grincèrent les jambes. On s'arrête ou on court ? Parce que, pour nous, c'est forcément pas pareil.

Jean finit par arriver au ravitaillement de l'Artigue. Il restait un long retour au bord d'un ruisseau, alternant du bitume, des sentiers, des chemins. Une longue ligne droite.
- On est encore loin ? firent les jambes.
- On arrive, un dernier effort, répondit le cœur.

Dix minutes plus loin.
- On est encore loin ? demandèrent les jambes.
- On arrive, répondit le coeur.

Cinq minutes plus tard.
- On est encore loin ? râlèrent les jambes.
- Vos gueules ! s'énerva le cœur.

Auzat. Les yeux commencèrent à s'humidifier. Du bonheur. La fatigue aidant, l'émotion était forte.
- Pleureuse, firent les jambes.
- Connasses, rétorqua Jean.

Jean franchit la ligne d'arrivée. Le bonheur était à la hauteur des efforts. La Brindille avait terminé depuis bien longtemps. Bip-Bip aussi. Les virevoltants volaient dans le vent. La nuit tombait. Les loups hurlaient. Seul au monde. Jean était heureux.

- Merde ! fit Jean. On a oublié le cerveau là-haut !
- Ah non ! s'écrièrent les jambes. Pas question qu'on retourne là-bas. De toutes façons, vu ce qu'il nous sert d'habitude, il va pas nous manquer.

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Gab lissait ses ailes tranquillement en sifflotant. La porte claqua. Le Père Noël entra en trombe, leva sa grosse paluche et l'abattit sur le visage de l'ange.
- Mais, mais... bredouilla Gab. Jean a terminé sa course ! Qu'est-ce que j'ai fait ?
- Rien, c'est juste pour le plaisir, fit le Père Noël en sortant, le sourire aux lèvres.

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