Jean, l'aspirant traileur : Trail du Grand Vignemale 2018


L'ange Gab avait bossé tout l'hiver et le printemps comme un dément. Il n'avait pas l'habitude et il était exténué. Mais heureux. De la neige, de la neige, et encore de la neige. Il avait demandé à ses techniciens météo d'en tartiner les Pyrénées encore et encore. C'était une réussite. Les montagnes étaient restaient longtemps toutes blanches.

Vendredi 6 Juillet 2018. 23h. Gab avait les yeux rouges de fatigue.
- Allez les gars ! Une dernière ligne droite et on est bon, fit-il à son équipe météo. La neige a fondu mais il en reste bien assez pour la course de demain. De bons gros névés. On prépare une météo bien instable avec risques d'orages. Si avec ça, le Jean, il parvient à finir cette course, je m'en coupe une ! fit Gab, tout fier.
- Pour ce que ça te sert, siffla entre ses dents un technicien au bord du burn-out.

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Samedi 7 Juillet 2018. 6h30. Jean démarrait son moteur diesel 2cv, version bourrique boiteuse. C'était parti pour le Trail du Grand Vignemale. Bien dormi, pas trop de stress, juste ce qu'il fallait. Il se sentait bien. Confiant.

Petites foulées, petit rythme, au fond du peloton. Courir sans se mettre dans le rouge. Marcher. Gérer. Jean remontait tranquillement la transhumance des coureurs.
- Quelle belle journée ! sifflèrent joyeusement les jambes.
Surpris par le comportement de ses guibolles généralement râleuses, Jean lâcha un petit sourire satisfait.

2h26 de course. Jean arriva au Refuge des Oulettes de Gaube. Il lui restait 1h19 pour 600m de dénivelé sur 4km environ et atteindre la barrière horaire du Refuge de Bayssellance.
- Les doigts dans le nez, fit le cœur. On est bon là !
- T'enflammes pas, le reprit le cortex. Rien n'est sûr. Faudra pas traîner.
Un coureur prit une pleine poignée de pâtes de fruit.
- Il doit avoir très très faim, dit le cœur.
30 secondes maximum au ravito. Jean prit un quart d'orange et repartit. Tête baissée.

La montée était plus raide maintenant. Jean dépassa quelques participants tandis qu'il se faisait doubler par d'autres. Un coureur coupa les lacets du parcours pour gagner quelques places, quelques secondes.
- Il doit avoir rendez-vous, dit le cœur.
Jean avançait à son rythme. Tout allait bien, les voyants étaient au vert.

Et puis...

Embouteillage. Une métropole en heure de pointe. Les klaxons fusaient. Les coureurs attendaient pour s'encorder et poursuivre. Ils étaient à l'arrêt. L'un d'entre eux tenta bien de forcer le passage, mais il fut stoppé comme tout le monde quelques mètres plus loin.
- Il doit avoir une urgence, dit le cœur.
La file d'attente grossissait. Le temps passait. Jean sortit la glacière, le pâté, le saucisson.

Puis, il redémarra. Doucement. Lentement. Le ciel se noircissait au-dessus du Grand Vignemale. Jean franchit la Hourquette d'Ossoue puis enchaîna sur la rapide descente pour atteindre le Refuge de Bayssellance.

- Stop ! fit un bénévole. Trop tard. Barrière horaire.
Jean regarda sa montre. 3h57 de course. Le bénévole lui retira le dossard. Jean était ko. Un uppercut au menton. Il ramassait son dentier.
- Dans l'cul lulu, s'esclaffa Gab du haut de son nuage.

De nombreux coureurs et coureuses étaient là. Dépités. Il fallait repartir. Rentrer. Le moral dans les chaussettes. Jean reprit le chemin. Après s'être encordé à nouveau, il atteignit le Col de Labas. Puis un gros névé bien raide. Descente sur les fesses, le dos, le ventre. A l'endroit. A l'envers. Jean faisait la crêpe.

Il continua sur le chemin du retour. Marche, course. Course, marche. Sans vraiment profiter du paysage, la tête ailleurs. Il regardait de temps en temps en arrière. Le Grand Vignemale s'éloignait, inexorablement. Il entendait les spectateurs au bord des chemins qui l'applaudissaient, le félicitaient, ne sachant pas qu'il était hors-course. Bizarre. Il laissait passer les coureurs toujours en course, portant leurs jolis dossards. Étrange.

- Décidément, t'es vraiment mauvais, faisaient les jambes.
- Ouais, t'as pas le niveau, continuait le cortex.
 - Looser ! lançait le cœur.
Désespéré de servir un coureur aussi mauvais, même le gps avait décidé de se faire la malle et de reprendre sa liberté, au fin fond des montagnes. Quand, bien plus tard, Jean voulu l'attraper, il se rendit ainsi compte que le rat avait quitté le navire en perdition.
- On aurait mieux fait de rester au lit, firent les jambes.

Enfin la fin. A quelques mètres de l'arrivée, Jean bifurqua. Direction l'hôtel. Jean se souvint de la lettre envoyée à Noël. Il fallait redescendre sur Terre. Finit de rêver.

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Le gros bonhomme rouge entra sur le nuage de Gab. Sans un mot, il s'approcha de lui et lui balança une énorme mandale à travers la tronche avant de se retirer. Cul par-dessus tête, les ailes en vrac, l'ange n'avait rien compris à ce qui c'était passé.
- Tu l'as pas volé, celle-là, fit un technicien météo qui passait par là.

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Quelques jours plus tard, Jean farfouillait dans le web, à la recherche du prochain défi. Avec 322 arrivants sur un peu moins de 600 coureurs au départ, il se disait qu'il n'était pas le seul éliminé de la course du Grand Vignemale. Et, surtout, ce n'était que du trail.

Commentaires

  1. Très belle philosophie et très beau retour sur cette aventure, enfin au moins quelqu'un qui voit le verre ��à moitié plein et sait prendre du recul sur les événements et son niveau de performance avec objectivité et une bonne dose d'humour, plutôt que de vociférer après les organisateurs, les conditions météo, la neige, en plein été, les pierriers, les montées, les descentes...


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