Jean, l'aspirant traileur : Nocturne du Béout 2018


Il pleuvait comme vache qui pisse.

Sous les trombes d'eau, Jean se dirigeait vers la salle des fêtes pour récupérer son dossard. Finalement, peu avant le départ, la pluie s'arrêta.

Gab remonta sa braguette.
- Aaaaah... putain, j'ai tout donné ! Plus une goutte, plus rien. Même pas de quoi verser une larme.
Sifflotant, heureux, il retourna vers sa piaule molletonneuse.

Les coureurs étaient regroupés sous l'arche pour le départ de la Nocturne du Béout. La course se faisait en duo. 25 kilomètres pour 1100 mètres de dénivelé positif. Jean était venu pour participer avec sa nièce, la Mule. Pour elle, c'était une première. Sa plus longue distance. Son plus gros dénivelé. Maxi Max était là, aux avant-postes. En équipe avec Super Berger. Ça allait dépoter, battre des records. Pour Jean, au final, ça lui en touchait l'une sans faire bouger l'autre. Il aurait pu y avoir Kilian Jornet, ça aurait été la même. Les stars, il les voyait au départ et à l'arrivée. Et encore... si ils n'avaient pas terminé les protocoles de podium et plié les gaules entre temps.

- Salut, Jean ! fit Didi le Rameau.
- Salut ! renchérit Soso la Brindille.
Le couple était prêt, toujours aussi sympathique et agréable. Et placés dans les premières lignes. Ils avaient beau dévorer les kilomètres, ils étaient pas bien gros. Ils ne couraient pas, ils flottaient. Bref, il ne fallait pas les sortir un jour de grand vent. Connaissant ses forces et, surtout, ses faiblesses - facile, elles étaient bien plus nombreuses - et commençant à acquérir une maigre expérience des courses, l'aspirant traileur alla se placer en queue de peloton. Chacun sa place.

Le départ. Les premiers partirent comme des fusées. Jean démarra sa pétrolette. Version diesel. A sa grande surprise, il vit que la Mule n'était pas partie les gaz à fond. Elle le suivait. Un peu de bitume à avaler avant d'attaquer de la piste. Montée, descente, montée, descente. En pente douce. Petite foulée pas très souple.
- T'es pas obligé de courir, firent les jambes.
- Oui, mais bon, c'est pas trop raide là, répondit le cervelet rachitique.
- Plus vite on arrivera, plus vite on mangera la garbure, fit l'estomac.
- Il reste plus de 20 kilomètres. Faites comme vous voulez mais on promet pas de tenir comme ça jusqu'à la fin, reprirent les jambes.
La Mule suivait en silence.

Doucement mais sûrement, le duo improbable remontait les autres coureurs. Le moral était au beau fixe.

La nuit tomba. Le serpent lumineux des frontales avançait langoureusement sur les flancs de la montagne. Magique.
- Tu l'as déjà faite celle-là, firent les jambes.
- Oui, bon, les lecteurs sont pas obligés de le savoir, répondit Jean.
- Ah bravo ! Ils en veulent pour leur argent et toi, tu recycles.
- C'est un blog. C'est gratuit...

Premier ravitaillement. Le moteur de la Mule était en surchauffe. Elle enleva les différentes couches de vêtements. Fumante, elle redémarra. Un peu plus, elle repartait en soutien gorge.

Montée au Béout. Un peu plus raide. Marche rapide.

Un grand feu de palettes réchauffait le sommet. Le temps d'en faire le tour, et Jean et la Mule prirent le chemin de la descente. La Mule descendait doucement. Prudemment. Pas l'habitude, de nuit, et sur des parties plus ou moins glissantes, il y avait de quoi flipper pour ses chevilles.

Bitume. Piste. Montée. Descente.

Le parcours se faufila sur les flancs du Pibeste. Un sentier monotrace. Boueux. Glissant. En devers. Du plaisir en cascade.
- Qu'est-ce qu'on fout là ? râlèrent les jambes.
Une superbe vue sur Lourdes, lumineuse, et sur la Vallée de Batsurguère, répondit à leur question.
- On peut voir la même chose sur facebook. Et c'est moins fatiguant, reprirent les guibolles.
- Oui, mais la garbure, ça se mange pas en photo, fit l'estomac.

Il était temps de redescendre dans la vallée et de boucler la boucle. La Mule prenait de l'assurance. Elle dévala la pente moins prudemment.

- Aïe ! Ouille ! Aïe ! Fais chier !
La Mule avait des crampes à une jambe.
- On s'arrête un peu ? proposa Jean.
- Non, non. On continue. Cours ou crève, fit la Mule en serrant les dents.

Plus elle avait mal, plus elle accélérait. Dans l'idée de finir. Et de finir au plus vite.

Une averse. Jean ne la senti presque pas. Elle était même agréable. Rafraîchissante.
- C'est pas bientôt fini ? fit une grosse voix. Je t'y prends encore !
- Mais... Seigneur... ce ne sont que quelques gouttes ! répondit l'ange.
- C'est la dernière fois. Que je ne t'y reprenne plus.
Tête basse, un peu honteux comme un enfant qui s'était fait gronder, Gab retourna à sa piaule.

La course n'était pas finie. Il restait encore quelques kilomètres à parcourir. Les derniers. Les plus durs. Les interminables.
- Aïe ! Ouille ! Aïe ! Fais chier !
La deuxième jambe était attaquée.
- Tu es sûre de ne pas vouloir t'arrêter ? demanda Jean à son duo.
- Non. Je finirai sur les mains !
La mâchoire crispée, les poings serrés, les mollets en feu, la Mule courait.

Bitume. Piste. Montée. Descente. Boue.
- Garbure, garbure, garbure, se répétait l'estomac.

Un bénévole emmitouflé dans une grosse couverture leur indiqua la route. Dans sa protection, il ressemblait à un gros légume.
- Garbure, fit l'estomac.
- Il a dû perdre à la courte paille ou être puni, raillèrent les jambes. Dire que certains étaient auprès du feu sur le Béout !

Une dernière descente vers le village. Jean et la Mule franchirent la ligne d'arrivée.
- Garbure ! s'écria l'estomac.
Direction la salle des fêtes. Garbure, yaourt et une part de gâteau. Bien mérités. Pendant ce temps, habillés, douchés et bien retapés, le Rameau et la Brindille se hissaient sur la plus haute marche du podium des duos mixtes. Peu avant, Maxi Max et Super Berger avaient fait de même pour les duos masculins, établissant au passage un nouveau record pour la course.

Jean et la Mule avait aussi battu leur record sur la Nocturne du Béout. C'était la première. Tout le monde s'en foutait. Le monde avait bien raison.

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