Jean, l'aspirant traileur : Seul au monde !


- Pourquoi tu fais du trail ? Demanda Gégé.
- Ben, entre autres, pour être au plus près de la nature, ne faire qu'un avec elle, répondit Jean.
- Ah…

Jean repensait à ce court échange qu'il avait eu avec Gégé quelques jours auparavant. Il était en montagne et, sous un ciel couvert de nuages bas, il s'apprêtait à gravir le Pic de Peyreget dans la haute vallée d'Ossau. Une belle sortie en perspective.

Dans sa voiture diesel plus très jeune avec laquelle il venait régulièrement seul en montagne et qui crachait sa haine de l'air pur par son pot d'échappement, Jean attrapa ses chaussures de trail, ces mêmes chaussures qui étaient assemblées à l'autre bout du monde dans des usines dégueulasses et qui étaient ramenées en France par de gros bateaux polluants qui dégazaient régulièrement au large. Jean alluma sa montre cardio qui se mit à récupérer les ondes transmises par la ceinture techno qui lui enserrait la poitrine. Il fut ainsi renseigné sur le nombre de ses battements de cœur. Il battait, c'était déjà un bon point. Après quelques secondes, la montre attrapa le signal GPS envoyé par les satellites à des milliers de kilomètres. Le petit homme mit en route également sa Gopro, fixée sur le stabilisateur mécanique aux 3 moteurs. Ouais, il était prêt à ne faire qu'un avec la nature.

Jean s'élança. L'air frais de la montagne s'engouffra dans ses poumons. Ses pensées s’effacèrent, il se sentit bien. Rapidement, il se retrouva dans les nuages. Il n'y voyait pas plus loin que le bout de son nez. Certes, son nez était long mais en la circonstance, ça ne l'aidait pas beaucoup. Son GPS était bien plus utile afin de suivre la trace et de ne pas se perdre. La montagne était belle, mais elle pouvait être cruelle si on n'y prenait pas garde.

Ses semelles vibram accrochaient le sentier et le petit homme finit par traverser les nuages. Le soleil apparut, puissant. Jean arriva au refuge de Pombie niché au pied du splendide Pic du Midi d'Ossau qui dressait ses deux frères bergers, Jean et Pierre, vers le ciel. Le petit homme aimait se rappeler cette légende.

Jean fit une pause. Au bout de quelques instants, il aperçut une marmotte non loin de lui et un large et lumineux soleil envahit son esprit. Il sourit béatement. C'était l'un de ses plaisirs. A chaque rencontre avec des animaux, plus ou moins sauvages, un petit coin de bonheur s'ouvrait dans son cœur. Il ne savait pas trop pourquoi, peut-être parce qu'il pensait que c'était des moments exceptionnels. Mais en fait, il s'en foutait un peu de savoir. Seule la joie ressentie l'intéressait.

Dressée sur ses petites pattes arrières, ne bougeant plus telle une statue, la mignonne petite peluche émit un petit cri strident.

- Touriste ! S'écria la marmotte afin de prévenir ses congénères. Touriste ! On a décroché le pompon aujourd'hui ! Une bonne tête de vainqueur ! Je vous invite au dîner, on va bien se marrer !

C'est fou tout ce qu'une marmotte pouvait dire en un seul cri.

A son âge avancé, elle en avait vu des touristes de la montagne. Et plus le temps passait, plus ils étaient nombreux. Elle avait en face d'elle un spécimen, l'un de ces bipèdes qui se prenaient pour des isards. Le monde ne tournait décidément plus rond. Et celui-là était dans le genre imbécile heureux avec son sourire bête. Elle prit la pause quelques instants, histoire de valider son statut de gentille peluche puis retourna dans son terrier.

Revigoré par ce moment enchanteur, Jean reprit son chemin. La pente se redressa brusquement et l'aspirant traileur dût redoubler d'efforts. Ses bâtons trois brins en carbone aidèrent ses pattes de flamand rose rachitique à gravir l'obstacle et il parvint à atteindre le sommet tant convoité. Paysage sublime. La mer de nuages étaient à ses pieds et le Pic du Midi d'Ossau le dominait de son imposante stature. Tel Robinson en son île, il était seul au monde.

Une sensation de plénitude l'envahit et il profita de l'instant présent. Les soucis du passé, les problèmes du quotidien, l'incertitude du futur étaient loin de lui. Une bouffée d'oxygène et de bien-être.

Jean s'allongea, fatigué mais heureux. Il observa deux vautours qui tournoyaient en planant silencieusement au-dessus de lui. Ces seigneurs des Pyrénées étaient majestueux, leur vol, princier. Le petit homme les admira.

- T'en penses quoi ? Fit le premier vautour à son voisin.
- J'sais pas trop, répondit le second. Il est un peu maigre. Pas très grand. Un amuse-bouche.
- Mieux que rien. Comment j'ai la dalle…

Jean se releva et se remit en route. Il entreprit la descente qu'il savait encore longue.

- Et merde ! Fit le premier vautour. Encore raté !
- Pfff… Viens, j'crois avoir vu une marmotte plus très jeune un peu plus bas. On sait jamais.

Jean leva la tête et aperçut les deux superbes vautours s'éloigner. Magnifique. Il avala son tube de gel chimique concocté dans des laboratoires. Il pensa avec tristesse à ces emballages retrouvés parfois le long de sentiers sauvages ou encore à ces points de ravitaillement lors des courses où les coureurs qui criaient partout leur fierté d'aligner les kilomètres et les dénivelés n'arrivaient même pas à faire un petit détour d'un mètre pour jeter leurs gobelets dans les énormes poubelles mises à disposition.

Le petit homme descendit de gros blocs de rochers qu'il parcouru prudemment pour ne pas perdre une cheville ou deux, remonta une nouvelle pente, plus douce, puis chemina le long d'un sentier qui traçait sa route sous le Peyreget. La mer de nuages s'était disloquée et les rayons du soleil l'accompagnaient.

La sortie était sur le point de prendre fin. Gonflé par ses endorphines, Jean n'était qu'un bouillon de bonheur. Non loin de sa voiture, il passa auprès d'une belle blonde d'Aquitaine en estive qui mâchouillait nonchalamment une bonne grosse touffe d'herbe pure des montagnes. Leurs regards se croisèrent. Il y eut comme une osmose entre elle et lui. Il eut l'impression de la comprendre.

- Meuh fit la belle ruminant ses pensées aussi vides que le néant.

Jean la dépassa et apprécia ce moment privilégié. Puis il eut une pensée fugace, à peine perceptible. Un bon gros steak.

Commentaires