Affalé sur son fauteuil, le gros bonhomme rouge picorait les miettes de chips qui constellaient sa longue barbe blanche. Le feu de la cheminée diffusait une douce chaleur.
Vlam ! La porte s'ouvrit brusquement.
Un courant d'air froid s'engouffra dans la pièce, précédant un petit homme au bonnet pointu et tout de vert vêtu. Le picoreur sursauta, manquant s'étouffer. Des bouts de patates mâchées volèrent, accompagnées par une paire de petites binocles.
- Pépé ! Pépé ! fit le lutin qui reprenait son souffle. Une lettre pour vous !
- Une lettre pour moi ? reprit le grignoteur qui cherchait ses lunettes en vain.
- Oui, c'est ce que j'ai dit. Pour vous, pépé. Et elle vient d'un monsieur plus tout jeune qui croit encore en vous.
- En moi ?
- Oui, c'est ce que j'ai dit, pépé.
- Ho ! Ho ! Ho !
- C'est le "Ho ! Ho !" du Géant Vert, ça, pépé. Pas de vous.
- Ah...
- Vous, c'est plus dans le "Oh ! Oh ! Ooooh !".
- Ah bon ? Comme ça ? Oh ! Oh ! Oooh ! ?
- Presque. Il manque un "o".
- Oh ! Oh ! Ooooh !
- Parfait ! Bon, vous la voulez, la lettre ?
- Ah oui ! La lettre ! Bien sûr, mon petit Lucien. Tu peux y aller. Et referme bien la porte derrière toi. Il fait froid à congeler les rennes dehors. Ah ! Les voilà enfin ! s'exclama le mangeur en attrapant ses binocles.
D'un geste fébrile, le gros bonhomme rouge ouvrit la lettre. Une relique du passé. Les enfants n'écrivaient plus. Via leur smartphone dernier cri, ils commandaient leurs jouets sur des sites marchands, engraissant de grosses multinationales. Il était au chômage technique. Et ses petits lutins, travailleurs pourtant infatigables, traînaient leurs guêtres miteuses en tournant en rond. La mutinerie pointait son nez. Capitaine d'un navire en perdition, il tentait bien de se recycler mais ce n'était pas facile après avoir fait toute sa vie le même boulot. En Géant Vert, peut-être ? Il verrait plus tard, car aujourd'hui, il avait une lettre entre ses mains.
Une petite larme coula sur la joue du gros bonhomme rouge. On croyait encore en lui. C'était beau.
Il retira ses binocles, s'essuya les yeux, remis ses binocles, s'installa confortablement dans son fauteuil et commença à lire.
"Cher Père Noël,
je vous écris cette lettre car c'est bientôt les fêtes de fin d'année et je pense avoir été assez sage depuis un an pour vous demander quelques faveurs.
J'ai parcouru de nombreux kilomètres et j'ai usé mes souliers. Un peu trop rapidement à mon goût. Ils étaient de belle marque et m'ont coûté un bras. Je les ai enterrés au fond du jardin, à côté de mes illusions. J'ai besoin d'une nouvelle paire. Je sais qu'il me reste encore un bras mais si je pouvais le garder ce serait bien. Je souhaiterai donc avoir de bonnes chaussures au pied de mon sapin. Des chaussures que je pourrai utiliser longuement pour gambader dans les montagnes. Sinon, je vais devoir me mettre au minimalisme extrême. J'en ai parlé à mes pieds. Ils ne sont pas d'accord.
En parlant de paire, j'en aurai bien besoin d'une, si vous voyez ce que je veux dire... En effet, avant chaque échéance importante, j'ai le trouillomètre à zéro. Sur la ligne de départ, j'ai le cœur qui s'affole, les jambes qui flageolent, le slip qui colle. C'est pas facile à gérer.
Il me faudrait également une paire de jambes. Les miennes ne font que râler et c'est parfois un peu pénible sur la durée. A cause d'elles, je ne profite pas autant que je voudrai de mes balades et de mes courses. En écrivant cela, elles commencent déjà à me faire la gueule.
Je souhaiterai aussi avoir un peu de personnalité afin de ne pas être influencé par les autres coureurs. Démarrer à mon rythme, gérer à mon rythme, courir à mon rythme. Faire ma course, pas celle des autres. Je suis Jean. Faut que j'arrête de me prendre pour Kilian Jornet, ça fait illusion deux secondes, pas plus. Je crois avoir réussi une fois à le faire. Le grand bonheur. Mais c'était sur une courte distance et j'aimerai pouvoir le réitérer sur du plus long.
J'aurai besoin d'un joli dentier pour 2018. C'est l'année de passer les 40 rugissants. Sur mes rides et ma peau qui tient de moins en moins bien sur mes os, c'est déjà fait. Non, non, je vous parle bien des courses de 40 kilomètres en montagne. Je m'y suis cassé les dents en 2017. J'y retourne en 2018, plus motivé que jamais. Objectif Lune. Avant de partir ensuite pour Mars puis, un jour peut-être, vers une galaxie lointaine. Très lointaine.
Mais surtout, j'ai une course en objectif. Je ne devrais peut-être pas, car cette année, j'ai complètement explosé sur le Marathon des Gabizos dont je rêvais. Trop de stress ? Trop peur de l'échec ? Pas assez de préparation ? Trop de ci ? Trop de ça ? Trop nul ? Trop de trop dans ce passage ?
Peu importe. Le passé est passé, je ne vais pas le ressasser. En juillet prochain, la course du Grand Vignemale est de retour. Elle est à périodicité très aléatoire, il ne s'agit pas de se louper. Je compte m'y inscrire. Et la faire. Mieux, la finir ! Ce serait l'apothéose de ma saison.
Si vous pouviez en causer à un certain monsieur aux grandes ailes blanches, j'aimerai bien qu'il y ait ce jour-là un temps parfait. Je sais qu'il ne me porte pas trop dans son cœur, mais s'il pouvait m'oublier un seul jour dans l'année, j'aimerai bien que ce soit celui-là.
Cher Père Noël, je sais que je vous en demande beaucoup, mais j'ai des rêves plein la tête et je compte bien aller au bout.
Cordialement,
Jean, l'aspirant traileur et grand rêveur."
Le gros bonhomme rouge posa la lettre sur ses genoux, songeur. Circonspect. Ébranlé.
- Il m'a pris pour qui ? pensa-t'il. Je suis le Père Noël, pas le petit Jésus. Les miracles, c'est pas mon rayon.
Du papier manuscrit, il fit une boule et, d'un geste assuré, la balança dans la cheminée où elle s'embrasa.
- Géant Vert... ouais, c'est pas con ça.
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