Jean, l'aspirant traileur : Trail des Costalats 2017



- Alors ? On en est où ? fit Gab.
- J'crois qu'on est bon là. Grosse pluie début de semaine, quelques jours de beau temps avec des températures printanières pour leur faire espérer du soleil et un déluge façon Noé jusqu'à maintenant, répondit le technicien.
- Bien, bien. Si avec ça on a pas une bonne grosse boue, je vire ma cuti reprit Gab avec un petit sourire en coin et en déployant ses grandes ailes blanches dans son dos. Jettes de grands seaux d'eau avant le départ et puis tu stoppes. On va bien rigoler.
Gab se retira, mort de rire.

Un petit miracle. Jean n'était pas croyant mais à cet instant précis, il faisait une légère entorse à sa règle. Le speaker appelait les coureurs sur la ligne de départ et la pluie s'arrêta net de tomber. Le soleil n'était pas sorti, il faisait toujours frais, mais finalement c'était plutôt un bon temps pour courir.

En ce 12 mars 2017, Jean était de retour sur une course. Il s'était inscrit sur la distance moyenne du Trail des Costalats qui annonçait 20km pour 750m de dénivelé positif. Il l'avait déjà pratiqué et très apprécié l'année dernière mais le parcours était légèrement différent.

Jean n'était, comme d'habitude, pas très rassuré. Un mois auparavant, une légère contracture au mollet l'avait fait ralentir ses entraînements. Il s'était mis aux étirements. Vraiment pas par plaisir. Ses muscles et tendons en bois n'aimaient pas du tout ça. Mais cela semblait aller beaucoup mieux et cette course serait un vrai test.

En voisins, les membres du club de Jean étaient venus nombreux et sur les différentes courses. Parmi eux, il y avait Bébert qui avait tiré le lait à ses vaches avant de venir, ou encore le Doc, qui n'avait tiré le lait à personne. On pouvait citer également Hip-Hop qui préparait le Trail des Citadelles et se trouvait en méforme et un peu court. Jean aimerait être autant en méforme et faire les mêmes temps d'entraînement et de course que Hip-Hop. Chacun son niveau. Il y avait aussi Pat qui avait prévu de faire la course avec Bébert, et le couple aux jambes virevoltantes, Sosso la Brindille et son mari Didi le Rameau qui débarquaient à peine d'une course en Guadeloupe. Impossible de tous les citer, ils étaient trop nombreux.

Le départ fut donné. Encore une fois, Jean voulait partir tranquille, faire une course cool. Encore une fois, Jean se laissa emporter. Première montée. Raide, glissante, boueuse. Le sol s'échappait sous les godasses. Jean se cru presque en janvier ou février à patauger dans la neige des trails blancs du Pont d'Espagne ou d'Issarbe. Les sensations étaient sensiblement les mêmes. A peine arrivé en haut, il fallait entamer la descente. Technique. Jean le chimpanzé s'accrochait aux troncs, aux branches, à tout ce qui dépassait. Il n'était pas le seul et il entendait partout le bois casser. Un élagage en masse. Brutal. Mais Jean et bien d'autres n'étaient pas aussi agiles que leurs cousins de la jungle. Glissades, bains de boue offerts par les Costalats. Sa douce et sensible peau lui disait merci. Ses poils un peu moins.

Du haut de son canapé nuageux, l'ange Gab n'en pouvait plus. Il riait à s'en tordre les boyaux, à se pisser dessus.

Pluie fine. Jean avait fini sa descente, courait sur du plat. Il espéra une averse passagère et effectivement, elle eût le bon goût de rapidement aller voir ailleurs si Jean y était.

Il arriva au premier ravitaillement et le bénit.
- Mangez moi ! Mangez moi ! Mangez moi ! chantaient des bonbons dans leur grosse boîte, reprenant en chœur un vieux tube de Billy Ze Kick.
Soudain, l'un d'eux, un petit tout rouge et tout rond, se jeta dans la bouche de Jean. En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, il se fraya un chemin jusqu'à son estomac. L'aspirant traileur n'aimant pas repartir sur une patte, il en avala un second. Et pour pousser le tout, un abricot sec.
- Dis donc, tu n'aurais pas une course à faire ? questionna son bulbe rachitique.
- Ben, j'ai lu que c'était un bon choix de se poser un peu pour se ressourcer, rétorqua Jean.
- Un peu, ok. Pas s'empiffrer à t'éclater la panse. Allez hop, bouges ton gros cul et repars.
Son k-way devenu de trop, Jean demanda à un organisateur s'il pouvait lui mettre dans son sac à dos, ce qu'il fit gentiment. L'air de rien, Jean s'avala discrètement un dernier bonbon et reprit sa course.

Quelques mètres après ce ravitaillement, ce fut une nouvelle montée, toujours aussi glissante et raide. Mais Jean se sentait mieux. Il la gravit et attaqua une descente. Lui qui avait d'habitude peur, se laissa aller et prit un plaisir énorme, malgré les appuis glissants. Il se surprit même à dépasser des coureurs qui le laissaient passer.

Encore une grimpette avant d'atteindre le deuxième ravitaillement. Il se sentait bien, il ne s'attarda pas. Belle descente moins technique et la montée suivante put même se faire en courant doucement. Un vrai régal.

Par contre, la dernière montée fut vraiment difficile. Ce n'était pas les cuisses, ni les mollets, ni les pieds qui faisaient avancer Jean. Eux qui d'habitude avaient toujours un mot à dire étaient silencieux. Ils en bavaient trop pour parler. Non, ce n'étaient pas eux qui le faisaient avancer. Jean y allait au mental. C'était dur mais il ne pensait qu'à une seule chose. Tous les efforts qu'il faisait, toutes les douleurs, les souffrances, c'était pour atteindre son objectif de l'année, le Marathon des Gabizos. Alors, il grimpait, il grimpait, il grimpait.

Arrivé en haut, il fallait maintenant relancer. Finalement, Jean aimait ce genre de transition, ces changements de rythme. Jean aimait le trail. Une longue descente ramena vers la ville.

Une jeune femme arriva à sa hauteur.
- Il n'y a pas d'autres montées ? fit-elle.
- Je ne crois pas, répondit Jean.
Il sentit la coureuse ralentir et il pensa ne plus la revoir. Il termina un long sentier en faux plat et boueux, coupant les jambes qui en avaient déjà plein le dos et attaqua la toute fin du parcours. La jeune femme le dépassa et le laissa sur place.

Il ne restait plus que 500 mètres environ. Jean sentit une présence près de lui et tourna la tête. C'était Coach Lolo, l'entraîneur du club, le sadique qui préparait les séances de torture du mardi. Jean l'imaginait le soir, habillé tout en cuir, fouet à la main et pensant à la prochaine séance d'entraînement. Jean voulut tenir le rythme mais dût s'incliner. Manque d'entraînement. Ou plus certainement pas au niveau tout simplement.

Jean franchit la ligne d'arrivée, très heureux de sa course. Un parcours sympathique et exigeant. Il se jeta sur les bonbons qui l'attendaient sur les tables et les avala entre deux saucissons, un morceau de banane et un verre de coca-cola. Un cassoulet n'aurait pas dépareillé. Du grand n'importe quoi. Mais cela faisait un bien fou.

Gab se leva, les yeux embués, les abdominaux crispés, les zygomatiques douloureux.
- Ils sont quand même un peu cons, ces humains, fit-il à l'adresse du technicien. Vivement la prochaine.

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