- J'suis pas prêt,
j'suis pas prêt, j'suis pas prêt, se répétait inlassablement
Jean.
- On te l'avait dit,
firent les jambes. On voulait pas venir, mais tu n'en fais qu'à ta
tête.
- Vous êtes un peu
obligées de suivre, il me semble.
- Toujours pareil !
Les classes inférieures sont écrasées et doivent subir ! On
en a marre de se taire !
- Vous causez quand
même beaucoup, rétorqua Jean. Je suis désolé pour vous, mais
quand je fais une course, vous êtes obligées de répondre à la
convocation. C'est comme ça.
- On réclame
l'immunité ouvrière !
Jean leva les yeux
au ciel.
Jean était de
retour à Arette sur les 28kms du Trail du Barétous. Il avait l'intention de prendre sa revanche. La course de l'année dernière avait été difficile. Très difficile. Il espérait faire mieux
cette fois. En temps, mais surtout en sensations. Après la Corruda
de Lestelle-Bétharram, l'automne dernier, qui s'était plutôt bien
passée niveau sensations, il avait de l'espoir. C'était déjà ça.
A nouveau, les
membres de son club étaient venus nombreux. Didi le Rameau et Sosso
la Brindille étaient encore là. Ils feront des temps à jamais
inaccessibles pour Jean, la Brindille accrochant, comme à son
habitude, le podium féminin. En guise de récupération, ces deux-là
iront le lendemain se faire 1500m de dénivelé positif et 17kms en
montagne. Un couple bien givré. Un autre univers. Il y en avait
plusieurs autres, que Jean ne connaissait pas et qui couraient sur
cette autre planète. Pat était là aussi, tout comme Titine qui
appréhendait la distance ou encore Patchou qui allait certainement
faire aussi le Marathon des Gabizos. Il semblait à Jean que ces
trois-là étaient plus de son univers. Tous trois coururent et
terminèrent ensemble, une jolie course.
Le départ.
Jean partit
prudemment, pour une fois. Mais très vite, il s'emballa. La première
partie fut agréable, de bonnes sensations. Montées, descentes, faux
plats. Tout s'avalait plutôt bien. Un vrai régal.
Le parcours revint
sur Arette. Jean attaqua la seconde partie. Toujours bien sur la
longue montée qui suivait. Il la fit à marche rapide, espérant se
préserver pour la suite, prenant le temps de discuter avec des
coureurs, profitant de la vue autour de lui.
Le gros brouillard
qui enveloppait la région lorsque Jean était arrivé en voiture et
qui avait commencé à disparaître bien avant le départ de la
course n'était plus qu'un vieux souvenir brumeux. Le soleil pointait
son nez. Les paysages étaient splendides.
2h30, 2h40 de course.
Du haut de son
nuage, dans son beau costume, Gab faisait la gueule. Il en voulait à
son technicien.
- C'est pas
compliqué non ? Quand je te dis de me faire un gros brouillard,
c'est pas pour l'enlever juste avant la course ! C'est pour l'y
laisser ! A quoi ça sert sinon ? Fonctionnaire ! Tu
fous rien et tu creuses mon déficit. Je m'en vais te réduire les
effectifs, ça va pas traîner !
- Mais… mais…
balbutia le technicien. Les ordres viennent d'en-haut…
- Pfff… jamais
drôle celui-là ! Faut que je calme mes nerfs ! Tiens, je
vais me faire l'un des coureurs, là. Mmmmh… disons, lui, là. Oui,
oui, lui. Ce Jean. Il s'est foutu de ma gueule dans son dernier texte. Oui, lui, ce sera très bien. Il va en baver celui-là.
Crois-moi, ça va pas être fictif !
Une descente, suivie
d'un long sentier monotrace en dévers dans les bois.
- Ça commence à
piquer… dirent négligemment les jambes tandis que Jean faisait
mine de pas les écouter.
La montée suivante
pour arriver au Soum d'Ombret annonça des signes de faiblesse.
Jean pensait à tous
ceux qui n'avaient pas pu venir. Il pensait à l'une des étoiles du
club, Maxi Max, blessé au genou, qui avait dû renoncer aujourd'hui
et qui devait également déclarer forfait pour un ultra à Madère.
Il pensait à Météo, lui aussi touché au genou et qui avait
renoncé au Trail des Citadelles qu'il devait faire avec Hip Hop le
jour même. Ou encore à Bébert, retenu par des soucis personnels.
Alors Jean voulait avancer, finir, savourer la chance qu'il avait
d'être là.
Jean explosa.
Ça cognait dur dans
les genoux, les cuisses étaient au bord de la rupture. Il avait
l'impression de ne plus avancer, il avait peur de tout casser.
Descente raide.
Montée violente. A nouveau une descente raide. La vallée du
Barétous avait fait place aux montagnes russes. Jean avait la gerbe.
- J't'en supplie,
tiens le coup, fit-il désespérément à son estomac.
- Je fais ce que je
peux ! Avec mes petits bras, je tente de tout retenir. Mais pas
facile. Si tu arrêtais de bouger, ça serait plus simple, non ?
- Je peux pas
m'arrêter maintenant, sinon je redémarre plus.
Une dizaine de très
longues minutes plus tard, l'estomac criait victoire. La gerbe était
passée.
- Oh non !
Putain, non ! se désespéra Jean regardant la nouvelle montée
qui apparut face à lui.
- Oh si !
Putain, si ! s’esclaffa Gab du haut de son perchoir, au bord
du fou rire.
Jean cherchait son
souffle. Il regarda en arrière. Son cœur et ses poumons avaient
fait sécession 100m plus tôt et montaient un piquet de grève.
Peut-être
n'était-il pas prêt ? Peut-être manquait-il de fond ?
Peut-être avait-il mal géré sa course ? Peut-être n'était-il
tout simplement pas fait pour les longues distances ? Cette
dernière pensée lui mit un coup au moral. Il rêvait de longs, de
très longs, alors ce sentiment d'échec lui fit mal.
Jean envisagea de
finir en marchant. Une bénévole lui annonça qu'il restait 1km
environ. Ses encouragements lui firent un bien fou. Une longue
descente assez douce. Un dernier effort dans les derniers
retranchements. Il courut. Doucement. Comme il put et c'était
pas beau à voir. Mais il courut.
Jean arriva à
Arette et entra dans les rues du village. Des membres de son club qui
avaient couru le 12kms crièrent comme des givrés à son passage.
Quel bonheur ! Il franchit la ligne. Malgré son envie, il ne
put même pas les rejoindre pour leur parler, les remercier. Il se
traîna lamentablement jusqu'à sa voiture, terrassé par des
douleurs aux jambes.
- Il est pas prêt
d'écrire de nouveau sur moi, fit Gab, rentrant chez lui en claquant
la porte de son nuage.
Jean était occis.
Des sentiments contradictoires se firent sentir. Son temps était
meilleur, sur un parcours un peu différent et très légèrement
plus long. Mais ses sensations de fin de course n'étaient pas
fabuleuses. Plus jamais cette souffrance, plus jamais ça.
Dès le lendemain,
Jean se projetait sur de prochaines courses. Avec
l'envie de recommencer, de faire mieux, fort de cette nouvelle expérience.
super récit jean comme d'habitude.
RépondreSupprimerpolo ou aldo
sportivement alain
Merci Alain ! Bon courage à vous pour Madère !
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