De l'importance du pied

DE L'IMPORTANCE DU PIED
ENTRETIEN AVEC JDD*
PODOLOGUE ET ULTRA TRAILEUR


Installé professionnellement dans les Pyrénées-Atlantiques, JDD est podologue depuis 11 ans. Après une formation initiale de Pédicure-Podologue, il a poursuivi par un premier Diplôme Universitaire, « Sport et Santé », puis un second, « Podologie appliquées aux sports », ainsi que sur d’autres formations comme l’Analyse Posturale et la Prise en Charge du Cycliste ou encore les enseignements proposés par « la Clinique du Coureur ». Actuellement, il continue à se former, notamment en Posturologie, ce qui devrait l’occuper encore 6 ans.

Mais JDD n’est pas “que” Podologue. Il est également un coureur à pied, sport qu’il pratique depuis environ 15 ans. Venu de la route, où il a effectué quelques marathons, il est passé sur le trail et a progressivement augmenté les distances pour se lancer ensuite sur l’Ultra Trail. Ayant à son actif plusieurs courses comme les 100 Miles du Sud de la France, l’Ultra Trail Côte d’Azur Mercantour ou encore l’Ultra Trail Atlas Toubkal, il remet le couvert en 2019 en préparant les 220km de l’Ultra Tour du Grand Raid des Pyrénées, course qu’il a déjà effectuée la saison dernière et qui se déroulera à nouveau cette année, fin août.

Pourriez-vous définir la proprioception ? Pensez-vous que c’est une donnée importante pour le coureur en nature ?

JDD : La proprioception est un mot qui a une signification très complexe et que l’on utilise souvent mal, ou plutôt de façon incomplète. C’est un terme que l’on retrouve très souvent pour parler de la cheville, notamment après une entorse. Mais c’est un petit peu plus complexe [Sourire].

La proprioception, c’est la perception que nous avons des différentes parties de notre corps, les unes par rapport aux autres à l’arrêt ou en mouvement, sans l’intervention de nos systèmes sensoriels. Pour résumer et simplifier : dans nos articulations, muscles, tendons, peau, etc, nous avons des récepteurs qui renseignent en permanence, notre cerveau sur la position du corps dans l’espace et plus précisément de la position d’un membre ou d’une articulation, ou de l’état de tension d’un muscle, etc.

La proprioception va donc représenter la somme de toutes les informations récoltées (en même temps) par tous ces récepteurs. Ces informations étant alors acheminées au cerveau qui, en réponse, enverra un message (généralement un mouvement ou plus précisément une contraction musculaire) pour garantir le maintien de l’équilibre.

Étant confronté à des situations de terrains entraînant des positionnements systématiquement différents, le coureur en nature aura donc particulièrement besoin de cette proprioception.

Il faut donc bien comprendre que la proprioception n’est donc pas seulement « renforcer » les muscles de la cheville, mais aussi et surtout faire travailler et rendre le plus efficace possible ces fameux récepteurs, pour sa cheville, mais pas que !

Le pied est à la base de la course... à pied. Peut-être même l’élément le plus important de ce sport, et pourtant, il est un peu le parent pauvre de l’entraînement. Quand on pense renforcement musculaire en course à pied et en trail, on pense rapidement à muscler les cuisses, les mollets, à faire du gainage, mais on pense peu au pied. Les pieds peuvent-ils être musclés, renforcés ?

JDD : Le pied comprend énormément de muscles et, comme tous les muscles, ceux-ci peuvent être renforcés. Et ils doivent être renforcés ! Ce sont eux qui s’adaptent au terrain, qui réceptionnent, qui propulsent, etc. Ils doivent être « forts » pour réagir aux contraintes et nous permettre d’avancer plus ou moins vite, plus ou moins longtemps.

La foulée en attaque du talon a mauvaise presse. Elle serait contre-productive et génératrice de blessures. Est-ce une vérité ?

JDD : Gros débat ! Il y a du vrai et du faux. Bio-mécaniquement, dans un idéal parfait de corps parfait, effectivement l’attaque talon n’est pas la plus préventive. Mais comme tout le monde sait, l’idéal n’existe pas. Chaque coureur est différent, avec ses forces qui lui sont propres, et donc l’attaque de pied qui lui convient.

Certains coureurs n’arriveront donc jamais à quitter cette attaque talon et risque même de se blesser en voulant en changer car c’est cette attaque talon qui fait parti de leur schéma et il faut le respecter.

La question n’est donc pas de savoir si l’attaque talon est néfaste mais plutôt si j’utilise l’attaque qui me convient.

Au contraire, la foulée sur l’avant-pied ou la foulée en médio-pied serait plus économique en énergie et moins traumatisante que la foulée à plat ou sur le talon. Elle serait même plus “naturelle”. Est-ce vrai ? Et si oui ou non, selon quelle biomécanique ?

JDD : Ce qui caractérise l’attaque médio-pied c’est l’amorti ! En effet, avec cette technique, le corps amortit naturellement l’impact grâce à une « triple » flexion (cheville, genou et hanche), minimisant ainsi cet impact.

L’autre avantage c’est le peu de temps passé au sol, ce que l’on pourrait appeler le dynamisme. Moins de temps passé au sol limite les risques de déformations des articulations, donc les pertes d’énergie et les risques de blessures liées à ces déviations articulaires parfois excessives.

Enfin avec une pose de pied telle, on favorise une force de réaction du sol orientée en avant et haut, on est ainsi plus rentable.

« Plus naturelle », encore une fois, je ne suis pas tout à fait d’accord… « plus naturelle » pour certains mais pas pour d’autres.


Quelles blessures ou problèmes peut entraîner une foulée avant-pied ou médio-pied ?

JDD : Le risque c’est le passage « trop brutal » d’une foulée à l’autre. Pour la foulée avant pied, qui sollicite énormément les chaînes musculaires postérieures, les risques (les plus couramment rencontrés) sont des contractures et d’autres lésions musculaires aux mollets, ainsi que des tendinites d’Achille. On peut également retrouver des lésions localisées sur l’avant pied (très sollicité avec cette technique) et ainsi des métatarsalgies, voir même des fractures de fatigue.

Le mot clé c’est la progressivité. A quoi il faut donc ajouter obligatoirement des étirements et du renforcement musculaire spécifique.

On parle également de foulée de type pronatrice, universelle ou supinatrice. Durant un temps, les fabricants de chaussures de course adaptaient leur marketing sur ces différentes foulées. Est-ce réellement important de connaître son type de foulée dans la pratique de la course et du trail ?

JDD : Là encore impossible de définir une référence. Chacun a son anatomie, ses défauts, ses qualités. Connaître son type de foulée ne me semble pas essentiel. Par contre identifier « ses défauts » ou « lacunes » qui pourraient, à terme, engendrer des blessures, oui. Cela permet ainsi de travailler sur ces éléments (renforcement musculaire spécifique, proprioception, etc).

Finalement, une personne qui a tel ou tel type de foulée peut-elle réellement la changer ou le naturel revient forcément ? Et, surtout, doit-elle changer de foulée ?

JDD : Si le coureur n’est pas blessé, n’a pas de douleur et est satisfait de sa pratique (loisir, compétitions, niveau…), aucune raison de changer quoi ce soit !

Si on arrive à identifier que la foulée est impliquée dans une blessure ou suite de blessures, oui cela devient intéressant de travailler sur cet aspect.

Concernant le « naturel qui revient » : n’oublions pas que c’est le cerveau qui décide de chaque mouvement. Si on travaille progressivement et correctement, on crée un nouveau « schéma » dans le cerveau et c’est ce schéma qui s’exprimera, effaçant ainsi l’ancien. Attention cependant, cela peut, selon les cas, prendre plus ou moins de temps…

Pour en revenir aux chaussures, on parle actuellement énormément du drop, la différence de hauteur entre l’avant de la chaussure et l’arrière. Mais, drop 0, drop 4, drop 8, etc, est-ce si important pour choisir ses chaussures ?

JDD : Oui c’est très important ! Le drop fait parti des éléments à prendre en compte dans le choix des chaussures et c’est là que l’on se rend compte de l’importance de l’expertise des vendeurs de magasin « spécialisé » course à pied !

Le drop intervient dans l’expression (et l’utilisation) de ses préférences motrices. Le bon drop permettra la « bonne » expression de ses préférences.

De plus, la gestion du drop peut être intéressante dans les transitions de foulées, pour ceux qui voudraient par exemple évoluer progressivement faire une foulée minimaliste.

Tout ceci amène à parler du débat entre les chaussures minimalistes, au drop faible, souple et au minimum de matière pour un poids le plus faible possible, face aux chaussures maximalistes, dont la principale caractéristique est d’avoir un amorti conséquent et une grande stabilité du pied et de la cheville. Avez-vous un avis dessus ?

JDD : Au risque de me répéter, PAS de « vérité » absolue. Pas de bonnes ou de mauvaises chaussures ! A chacun ses caractéristiques (physiques, motrices, neuro-physiologiques, sportives…) et donc à chacun sa chaussure.

De nombreux coureurs utilisent des semelles orthopédiques suite à une blessure ou à une gêne et ne s’en séparent ensuite plus jamais en la renouvelant chaque année. Est-ce réellement un bon calcul ?

JDD : Dans des cas particuliers, certains coureurs devront effectivement garder leurs semelles toute leur vie et les renouveler régulièrement. Mais si on y regarde bien, ces cas sont assez rares. Très souvent, une blessure apparaît suite à une mauvaise gestion de l'entraînement, du matériel (chaussures), du terrain, de l’association vie professionnelle/personnelle/sportive, etc. Et quand le corps se trouve « dépassé », c’est là que la blessure arrive.

Le traitement orthopédique (semelle) est souvent un très bon allié permettant de reprendre (ou poursuivre) l’activité sans douleur et d’évoluer vers la guérison. Mais le plus important c’est de savoir « pourquoi » la blessure est apparue ! On peut ainsi travailler sur ce « pourquoi » pour éviter la récidive et à terme se séparer des semelles : renforcement musculaires, changement de chaussures, travail de la technique de course, étude de l'entraînement, etc.

D’ailleurs, la prescription de semelles par le podologue s’accompagne quasiment systématiquement de recommandations associées (chaussures, technique de course, entraînements, renforcement, etc).

Aucun corps n’est parfait. Chaque personne a ses propres défauts, ses particularités. Par conséquent, peut-on envisager que, à force de courir et de s’entraîner sans orthèse, le corps se muscle selon ses défauts et qu’il les compense ainsi naturellement ?

JDD : Tout à fait ! D’ailleurs (et heureusement) beaucoup de coureurs ne sont pas appareillés et pratiquent la course à pied selon leurs envies (loisir, compétition, haut niveau) et sans aucune douleur ! Le corps est une formidable machine qui a la capacité de s’adapter à (presque) tout ! Il faut juste lui en laisser le temps.

Mais attention, on ne retire pas les semelles sans l’avis du podologue !


Les pieds sont mis à rude épreuve durant une course. Chocs, froid, chaleur, transpiration ou encore l’humidité extérieure sont autant d’agressions pour eux, et les ampoules sont une forte cause d’abandon. Quels conseils donneriez-vous pour le soin des pieds au cours d’une course longue ou d’un ultra trail ?

JDD : 2 à 3 semaines avant l’échéance : un soin de pédicurie chez le podologue. Ce soin va permettre d’évaluer l’état des pieds et d’y apporter les soins nécessaires à la limitation d’apparition de lésions : coupe d’ongles adaptée, élimination des épaisseurs de peau (durillons, cors…) qui peuvent être génératrices de douleurs à terme. Ce soin est également le moment de donner des conseils pour la compétition.

1 mois à 3 semaines et jusqu’à 1 semaine avant l’échéance : deux choses importantes à faire. Le Tannage, chaque jour, le matin. On applique un produit « tannant » (exemple jus de citron) sur toute la surface du pied. Ce produit va avoir pour but de rendre la peau plus résistante et ainsi limiter les lésions et les risques d’ampoules. Mais faire aussi, chaque jour, le soir, l’Hydratation. On applique sur le pied une crème hydratante et anti-échauffement et on fait bien pénétrer par massage.

1 semaine avant l’échéance : Hydratation, le soir, uniquement avec la crème hydratante et anti-échauffement sur tout le pied par massage.

Le jour de la course (et pendant les sorties longues), application de la crème anti-échauffement. 1 premier passage sur tout le pied par massage pour bien faire pénétrer la crème puis application par couches épaisses sur les zones à risques, sans étaler ! Enfiler les chaussettes (quitte même à s’essuyer les doigts plein de crème dans la chaussette ; certains mettent même de la crème dans la chaussette), et GO ! Eviter autant que possible les pansements ou double peau qui risqueraient de rouler, de se décoller et ainsi de devenir blessant.

Sur les courses de longues distances, il y a beaucoup de marche. Et plus on descend dans le peloton, plus le temps de marche des participants est important. Or la marche a une biomécanique différente de la course. Par conséquent on ne peut plus parler de foulée avant-pied ou médio-pied. Quelles sont les différences entre la biomécanique de la marche et celle de la course ?

JDD : Déjà, en trail, pour la partie « marche », il y a une autre composante, c’est les montées et les descentes. Et quand on monte (en marchant ou en courant), on est très souvent sur l’avant du pied. Quand on descend (en marchant), on est plutôt sur le talon. Ensuite, il y a les parties plus plates (où on est censé courir [Sourire]) sur lesquelles on peut être amené à marcher.

La différence est assez évidente : en marche, c’est attaque talon (généralement légèrement postéro-externe), puis déroulé du pied pour finir avec propulsion avec les orteils. On utilise ici les 3 parties du pied de façon successive.

Cependant, la marche est un mécanisme que nous maîtrisons depuis notre plus tendre enfance, donc rarement de problème à ce niveau. Si ce n’est qu’à l'entraînement, pour un ultra, il faut travailler cette notion et donc intégrer de la marche dans les sorties longues si l’on sait que l’on risque de marcher.

Peut-on dire que les critères de choix des chaussures pour le trail peuvent être les mêmes que pour la randonnée ? Et finalement, est-ce que les réponses que vous avez faites jusqu’à présent sont aussi valables pour la randonnée ?

JDD : Pas tout à fait. En effet, en randonnée on utilise particulièrement la marche ! C’est donc cette dynamique qu’il faut étudier pour conseiller au mieux le randonneur sur sa pratique et son choix de chaussure. Cependant certaines caractéristiques de la chaussure de trail peuvent revenir dans le choix de la chaussure de randonnée.


Selon vous, et dans l’optique de la course à pied ou de la randonnée, quand et pourquoi doit-on consulter un podologue ?

JDD : Je suis assez partisan de la prévention. Aussi je ne suis pas choqué (au contraire) quand certains de mes patients viennent me consulter pour un bilan, même sans douleur. Cette consultation permet de répondre à de nombreuses questions : type de foulée, choix des chaussures, renforcement musculaire, technique de course, mis en évidence de lacunes et qualités, etc.

Plus généralement, on consulte un podologue quand on a une douleur qui apparaît à la course (pendant et/ou après) et quelque soit la localisation (pied, genou, dos, etc), quand on ne sait pas quel type de chaussures choisir, et quand on a une préparation de pieds à faire en vue d’une course ou un gros entraînement.

Et pour être plus terre à terre, comment fonctionne le remboursement par la sécurité sociale d’une visite chez un podologue ?

JDD : Le système de santé français n’est pas encore totalement investi dans la prévention, donc le remboursement existe mais est assez léger à mon sens. Il faut souvent compléter avec les mutuelles (selon les mutuelles).

Concrètement, le bilan podologique est non remboursé par la Sécurité Sociale (éventuellement par la mutuelle) et les semelles orthopédiques sont remboursées à 60% de la base de remboursement de la Sécurité Sociale (soit 17€32) et le reste par la mutuelle (selon les mutuelles).

Finalement, vous, JDD, quel type de foulée avez-vous et quels types de chaussures utilisez-vous ?

JDD : Très bonne question ! [Sourire] J’ai appris avec ma pratique, mes formations, mon expérience, mes bobos... à « mixer » les foulées selon ma pratique (course très rapide, piste, trail rapide, trails longs, etc), voir même à passer d’une foulée à l’autre au cours d’une même course, selon le terrain, la fatigue, etc.

J’ai donc différentes paires de chaussures (au grand désarroi de ma femme) avec des caractéristiques différentes. Des Asics DS Trainer 24 pour la piste et la course rapide (10km), des Inov8 Terraclow 250 pour le travail de descente et le travail de pied, des Salomon Sense Pro3 pour les Trail (<60km), et des Dynafit Alpine Pro, éventuellement en alternance avec les Salomon Sense Pro3, pour les Ultra Trail.

Encore merci, JDD, pour avoir pris le temps de répondre à ces nombreuses questions. Bonne continuation et je vous souhaite le meilleur pour les 220km de l’Ultra Tour du GRP et pour le futur.  

* Afin que l'entretien et sa diffusion sur internet ne soit pas considéré comme de la publicité, ce qui est rigoureusement interdit pour les professionnels médicaux et para-médicaux, le nom du podologue n'est pas divulgué.

Commentaires