Jean, l'aspirant traileur : Trail blanc du Hautacam 2018


La pluie était tombée dru et le redoux avait fini d'assassiner la neige. Dans quelques jours allait se dérouler le Trail blanc du Hautacam. Il n'aurait de blanc que le nom et Jean s'en faisait une raison.

- Ok, ok, Lucien, fit le Père Noël à son persévérant lutin. On va essayer de s'en occuper de ton traileur. Passe-moi mon manteau, attelle les rennes, on va aller rendre une petite visite à un vieux monsieur haut perché.



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Jean était heureux. La neige était tombée durant deux jours et, depuis peu, les éclaircies pointaient le bout de leur nez. Idéal. Le trail blanc était blanc. Avant d'attaquer la nuit noire. Les pieds dans la poudreuse, Jean était prêt à s'élancer sur le parcours. Sa nièce, la Mule, était aussi de la partie. Les chiens du cani-cross remuaient la queue de joie, Jean aboyait son impatience. Ou l'inverse. Les nuages s'effilochaient, dévoilant un timide soleil qui se préparait à se retirer dans son lit douillet.

Les coureurs du 20km bondirent, enfin lâchés par les organisateurs. Puis ce fut ceux du 10km, dont Jean et la Mule. La meute du cani-cross leur emboîta le pas peu après. L'aspirant traileur démarra à petites foulées souples, profitant du coucher de soleil sur ces montagnes enneigées. Sublime spectacle.

La montée débuta rapidement. Une pente douce sur de la neige déjà labourée par de nombreux concurrents. Les cuissots travaillaient, le cardio n'était pas au chômage, c'était le plein emploi.
- Exploitation du peuple d'en-bas ! crièrent les jambes. On supporte tout le poids de vos choix !
Jean prit son rythme.
- Allez ! On est bien, là ! se dit-il. La pente est pas trop raide et régulière, on peut courir en continu. On a fait quelques jolis entraînements pour ça.
- Ok ! répondit le cervelet rachitique. Et on fait un jeu : si on marche, on a perdu !
- Ok ! fit Jean.
- Vous vous amusez bien là-haut ? questionnèrent les jambes, un brin irritées. Ça vous ferait mal au cul de nous demander notre avis ?
- Veuillez me laisser hors de cela, fit le cul.
- On vous demande pas votre avis, reprit le cervelet. On le connaît déjà.
- C'est pas une raison, rétorquèrent les jambes.


Le soleil avait terminé sa représentation. Le rideau noir de la nuit était tombé. Les frontales vissées sur le crâne, les coureurs dévoraient petit à petit le parcours et le serpent lumineux avançait langoureusement sur les flancs de la montagne. Magique.

Tête baissée, regardant où il devait poser les pieds et cherchant le meilleur tracé dans la neige à la lumière de sa frontale, Jean remontait doucement le peloton. Chaque dépassement était une difficulté. Il fallait s'enfoncer dans de la neige molle et redoubler d'efforts pour accélérer.

Pas vraiment d'appui. Les pieds se posaient plus ou moins puis dérapaient, à droite, à gauche, en arrière. Deux pas sur de la neige portante, un troisième qui s'enfonçait soudainement, stoppant net le rythme, tirant sur les muscles.
- La neige, c'est bien pour travailler les chevilles, fit Jean.
- Mouais, mouais, firent les chevilles, un peu septiques.

Jean se fit dépasser par un coureur à traction avant. Le moteur, monté sur quatre pattes, tirait son maître, la langue pendante, visiblement heureux. Les deux êtres ne faisaient plus qu'un. Jean se sentit un peu envieux. Peu après, ce fut le tour d'un bi-moteur. Encore plus tard, un homme passa, courant à quatre pattes, tirant son chiwawa qui rebondissait dans tous les sens.

La neige, la nuit, la montagne et, cerise sur le gâteau, le cani-cross, donnaient une atmosphère vraiment particulière à cette course et l'aspirant traileur ne boudait pas son plaisir.

Le parcours grimpait. Grimpait. Grimpait.
- Quand est-ce qu'on descend ? questionnèrent les jambes. On fait que monter ici !
- Vous voulez pas vous taire ? demanda Jean. Profiter du paysage ?
- Il fait nuit.
Pour tout dire, les jambes n'avaient pas vraiment tort. Il faisait nuit, c'était un fait. Mais surtout, Jean avait l'impression de n'avoir jamais arrêté de gravir les pentes. Une petite descente, vite avalée, puis, à nouveau, une montée à digérer.

Jean croisait régulièrement des bénévoles, postés le long du parcours. Ils applaudissaient, encourageaient, se les gelaient, la goutte glacée pendante au nez.

Arriva une partie en dévers.
- La neige, c'est bien pour travailler les chevilles.
- Mouais, mouais, firent les chevilles. Lâches-nous un peu.
Les lumières des villages en contrebas, dans la vallée, étoilaient le paysage. Jean admira.
Vlam !
La cheville droite partit en vrille.
- Noooon ! Reviens ! Reviens ! s'écria sa jumelle gauche, affolée. Ne me laisse pas seule !!!
- Et voilà, t'es content ! s'énervèrent les jambes.
Une petite torsion. Plus de peur que de mal. La cheville avait tenu le coup. Ouf !
- Vous voyez, on aurait pas travaillé sur la neige, on se serait blessé ! fit Jean, soulagé.
- On serait au chaud sur le canapé, on ne serait pas blessé non plus, remarquèrent les jambes.

Une dernière montée. Courte. Raide. Ne pas marcher. Courir.

Jean arriva en haut. A ses pieds, il voyait les lumières de l'arrivée. Une grosse pente de piste de ski. Pur plaisir. Il se lança. Un dément démantibulé dévalant la descente. Une joie enfantine. Désarticulé, les bras et les jambes partant dans tous les sens, peu importait de finir sur les fesses. La neige ferait matelas. Ou le cul.
- Personne ne m'aime, fit le cul, dépité.

Jean franchit la ligne d'arrivée. Heureux. Peu après, la Mule termina sa course, toute aussi émerveillée par ce début de nuit magique.

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