Jean, l'aspirant traileur : Trail blanc d'Issarbe 2017


Quinze jours après le Pont d'Espagne, Jean était à nouveau sur une course en montagne pour barboter dans la neige. Il était venu avec des amis du club. Pour Bébert, c'était le premier trail blanc. Il avait choisi le bon jour, on annonçait la tempête, la troisième en trois jours. Maggie avait plus d'expérience et était déjà venue plusieurs fois sur ce trail. Elle était sereine. Quant au ménage à trois, Polo, Aldo et Ricky, il répondait présent et s'apprêtait à découvrir le parcours.

Tous les coureurs étaient réunis dans une petite pièce. Les uns sur les autres, ils se changeaient, se préparaient, attendaient. Les pros se concentraient, les tendus s'étiraient, les glandeurs glandaient.

Marcel n'était pas encore là. Il n'était pas invité mais apparemment, il voulait taper l'incruste. Si cet ouragan pouvait s'oublier et ne pas passer, personne ne s'en plaindrait. Les amis de Jean partirent s'échauffer au-dehors. Pas pressé de se les geler, le petit traileur préféra rester au chaud dans la pièce exigüe. Il s'étala de la pommade chauffante sur les jambes pour préparer ses petits muscles qui lui occasionnaient quelques légers bobos ces derniers temps. Et 5 à 10 minutes d'échauffement peu avant le départ seraient suffisantes. Il l'espérait…

- Tout va bien ! annonça le speaker avant de donner le départ. Le parcours est damé et la neige est portante ! Courez sur les traces des chenilles, évitez le milieu de la piste !

Jean luttait à chaque pas. Aucun rebond. La neige était labourée. Il se demandait bien où elle portait, le speaker devait arracher des dents durant la semaine.

Le ciel était gris, une belle trouée de bleu, le sol était blanc. Jean était dans le rouge. Comme d'habitude. Il était encore parti trop vite. Il faudra bien qu'un jour, il se penche là-dessus et tente de faire un départ cool pour voir comment se déroule la course ensuite. Mais en même temps, dans les trails blancs, valait-il mieux partir plus vite, dans les premiers et profiter d'une neige éventuellement plus dure ou se préserver mais batailler dans le peloton et la neige explosée ? Question tactico-tactique. Jean tentait de résoudre l'énigme et allait se faire des nœuds au cerveau. En attendant de trouver la solution, il courrait en évitant de se faire des nœuds avec les jambes.

Les premiers kilomètres étaient difficiles. Lors d'une descente, Jean vit une double flèche peinte sur la neige labourée. Il pensa immédiatement qu'il emprunterait cette même partie ardue en sens inverse, donc en montée, et en fin de parcours. Dur, dur.

La neige devint légèrement plus dure. Jean arriva au ravitaillement tenu par de valeureux bénévoles. Quelques cacahuètes, des raisins secs, le verre d'eau avait déjà ses petits glaçons. Un apéro. Ne manquait que le pastis. Mais il fallait repartir.

- On accélère ? demandèrent le cœur et les poumons en chœur.
- Bof, pas trop envie, répondit le cerveau en solo.
- Hé, oh ! Ça va pas en haut ? s'écrièrent les jambes de concert. C'est pas vous qui en chiez à chaque pas. Nous, c'est bon, quoi, on fait notre boulot, mais faut pas pousser le bouchon non plus. Le rendement, le rendement ! Non mais, vous avez que ça à la bouche ? On va se plaindre
au syndicat si ça continue ! Capitalistes ! Esclavagistes !
Le dos se taisait. Et c'était pas plus mal car les rares fois où il causait c'était jamais bon signe. Jamais un mot gentil, jamais un compliment. Toujours à se plaindre.
- C'est la luuutte… finaaale… se mirent à chanter les jambes.

Jean se rangea du côté de ses guibolles et maintint son allure sans accélérer. Il dépassa un coureur arrêté sur le bord. Quelques mètres plus loin, dans une descente en mono-trace, il sentit des pas qui se rapprochaient dans son dos.
- Si tu veux passer, dis-le moi, fit Jean.
- Non, non, pas de problèmes, répondit le
coureur qui lui collait au derrière. Je suis pas pressé. Je viens de loin, alors je suis plutôt là pour profiter.
Un peu plus loin, alors que le parcours empruntait une route enneigée, Jean vit le coureur poser une accélération en sifflotant et qui le laissa sur place. Il en profita pour profiter.

Jean aimait le ciel bleu et le grand soleil, mais il appréciait de plus en plus les montagnes sous un ciel gris et nuageux où perçait parfois de petites trouées bleues et qui donnait des contrastes saisissants aux couleurs du paysage. Les sommets enneigés s'offraient à la vue, la vallée du Barétous et les contreforts des Pyrénées dévoilaient leur beauté hivernale. Merveilleux.

La neige avait quitté par endroits quelques centimètres sur le bort de la route. Jean s'y plaça, délaissant la neige. Que c'était bon de ne pas s'enfoncer ! Le bonheur tenait à peu de choses.

Le parcours repartit en hors-piste. Une jolie petite montée suivi d'un court passage en crête pour ensuite effectuer une descente en poudreuse. Jean s'élança et il prit un plaisir énorme dans cette descente. Trop courte. Arrivé en bas, il eut presque envie de la remonter pour à nouveau se la refaire. Ses jambes gueulèrent, Jean abdiqua.

Les trois-quart de la course étaient avalés quand l'aspirant traileur sentit un premier souffle.
Marcel débarquait. Sans scrupules, il lâcha tous ses vents. Et il en avait dans le bide ! Les flocons déboulaient à l'horizontal et fouettaient le visage. Le paysage disparu, tout devint blanc. Trail blanc.

Jean était heureux. Il sourit stupidement, seul dans la tempête. C'était aussi ce genre de moments, de conditions dantesques, qui laissait des souvenirs impérissables.

L'arrivée se dévoilait. Un grand désert neigeux et venteux. Le pauvre speaker attendait dans le froid, en compagnie de quelques bénévoles qui avaient la malchance d'être attribué à la réception des dossards et des puces électroniques de
chronomètre. Jean franchit la ligne et s'engouffra dans le bâtiment où s'entassaient les très nombreux coureurs déjà arrivés. 12,8 kilomètres pour un peu moins de 400 mètres de dénivelé, le parcours ayant été modifié avant la course en raison des conditions météos. Ses amis du club arrivèrent rapidement. Trail, garbure et sandwich. Le trio imparable de l'hiver.

Il fallait maintenant reprendre la route avec Bébert et Maggie pour revenir chez soi. L'épouse de Bébert les reçut avec du café et des crêpes près du feu. Délicieux. Cela valait le coup d'en baver dans le blizzard.


Crédits photos : Alain.

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