Jean, l'aspirant traileur : Course des Refuges 33K 2017


Jean attendait derrière l'arche de départ du 33km de la Course des Refuges, à Cauterets. Anxieux. Impatient.

Dans son club, nombreux étaient les coureurs qui étaient inséparables. Ce jour-là, les duos étaient plutôt solos. Polo était venu sans Marco, la Brindille sans le Rameau. Un couple avait pourtant résisté. Fred Ramram et Stef Namasté avaient pris le départ, 1h30 auparavant, pour le 53km, en compagnie de Phil le Nonchalant.

Polo était livide. Il était venu non seulement sans Marco, mais surtout sans ses genoux. Douloureux depuis quelques temps, le gauche plus que le droit, Polo devait bientôt passer une IRM pour en savoir plus. Il se demandait bien s'il ne faisait pas là la course de trop. Et si il pourrait continuer à arpenter les montagnes lorsqu'il aura le diagnostique. Jean ne savait pas trop quoi lui dire, il espérait simplement que, finalement, les nouvelles seront bonnes.

Le départ fut donné.
- Si t'en baves au début, Petit Scarabée, la ligne d'arrivée, sûrement, tu ne verras pas.
Jean respecta les préceptes de Coach Lolo. Il partit avec le fond du peloton, en compagnie de Polo. Il avait pour but de finir la course, ne jamais se mettre dans le rouge et surtout de profiter de chaque instant.

Le parcours grimpait dès le départ. En pente assez douce. Les yeux rivés sur son cardio, alternant marche et course, Jean lâcha lâchement Polo et rattrapa petit à petit des coureurs pendant que d'autres le doublaient. Les paysages commençaient déjà à dévoiler leurs merveilles. De bonnes sensations. Jean arriva au Refuge d'Ilhéou et son lac, qui était bien là.
- T'as pas vu Vianney ? firent les jambes, hilares.
Dépité, Jean préféra se taire.

Grosse montée dans un pierrier de gros blocs. Fallait aimer le caillou. Jean aimait ça.

Il arriva au Col de la Haugade et s'arrêta pour profiter du paysage. Au-dessus, les sombres nuages étaient assez hauts et laissaient les sommets se dévoiler au regard. Au-dessous, la mer de nuage remontait de Cauterets et avalait le Refuge d'Ilhéou d'un côté et le Pont d'Espagne de l'autre. Superbe.

Jean repartit prudemment sur une descente en pente douce. Technique, en devers. La pluie, qui était présente depuis la montée du pierrier mais n'était qu'un crachin, décida de cracher plus fort. Le petit traileur enfila sa veste.

Un premier lac, le Lac supérieur de l'Embarrat. Une montée sèche dans les cailloux. Pour changer. Un deuxième lac, le Lac de Pourtet. Magnifique. Jean s'engagea dans la descente pour atteindre le troisième lac, le Lac Nère. Il courait avec précaution, avec l'idée de garder ses chevilles jusqu'au bout de la course. Des bénévoles, emmitouflés dans leur pancho, surveillaient les participants contre vents et marées.

La pluie froide tombait drue. L'ange Gab jouissait de bonheur.
- Qu'est-ce que vous avez ? fit un technicien s'adressant à son supérieur.
- Ils ont dévié la course et l'ont raccourci par mesure de sécurité. Pan ! Dans les dents, le Jean ! répondit Gab.
- Mais c'est le 53km qui est modifié.
- Oui.
- Et Jean, il est sur le 33.
Le bonheur de Gab s'écroula.
- Il me fait chier, ce Jean ! s'écria l'ange en claquant la porte. Il me fait chier !

Jean termina cette longue descente technique jusqu'au Refuge Wallon-Marcadau.
- Jolis raisins presque secs ! fit le bénévole tout sourire en désignant l'assiette détrempée par la pluie. Et pain d'épices façon éponge ! se tournant vers une autre. Ou encore fromage à l'eau des montagnes ! pointant du doigt une dernière.
L'aspirant traileur prit tranquillement son temps à ce ravitaillement.

Marcel le Randonneur était parti tôt. Il voulait profiter de la montagne, de sa beauté, de son étendue infinie. Il aimait partir seul pour se retrouver en communion avec la nature, loin de la folle civilisation. Les nuages noirs s’amoncelaient sur les sommets. La pluie arriva rapidement. Marcel préféra voir le bon côté des choses. Au moins, avec ce temps, il ne rencontrerait pas grand monde. Un homme en short et baskets déboula devant lui. Marcel dût se mettre de côté pour le laisser passer. Puis un second. Un troisième. Un quatrième. Et encore un autre. Encore et encore. La meute ne semblait jamais finir. Ils étaient 400.
- Journée de merde, pensa Marcel.
Certains lui adressaient un bonjour. Il répondit aux premiers, fit la gueule aux derniers.

Jean fit la descente roulante jusqu'au Pont d'Espagne sous un ciel qui s'éclaircissait. Il se sentait plutôt bien. Le soleil était là. Il commençait à faire chaud.

Descente vers Cauterets par le Chemin des Cascades. A nouveau technique. Difficile. Magnifique.
- Aïe ! Aïe ! Aïe ! criait le genou gauche de Jean, comme souvent sur les pentes raides lors de longues sorties.
- C'est pas bientôt fini ? enchaînèrent les cuisses.
Entre les pierres, la boue, les racines et les grosses marches naturelles, ça faisait mal. Mais Jean n'écoutait pas. Il pensait à la descente. Longue, longue, longue. Et surtout, après, fini.

Il arriva à la Raillère.
- C'est à droite, fit un bénévole.
- Euh… vous êtes sûr ? fit Jean.
- Oui, oui.
- Mais à droite, ça monte.
- Oui, oui.
- Et à gauche, ça descend.
- Oui, oui.
- Et c'est à droite ?
- Oui, oui.
- Sadique, fit Jean entre ses dents serrées.

La montée était difficile. Moralement. Le passage à la cascade du Lutour, rafraîchissant. Elle était puissante. Jean passa le petit pont, le visage fouetté par les embruns. Puis à nouveau de la grimpette. Pas violente, mais dure en fin de parcours.

Puis un passage interminable plus ou moins plat jusqu'au dessus de Cauterets. Une descente avec de nombreux lacets. Très nombreux. Et une arrivée au milieu de la foule. Sous les applaudissements. Comme si Jean était quelqu'un d'important alors qu'il n'était qu'un coureur lambda. La cerise sur le gâteau.

Comme d'habitude, la Brindille était arrivée depuis bien longtemps. Elle aurait presque eu le temps de faire un deuxième tour. Phil le Nonchalant franchit à son tour la ligne d'arrivée du 53K, un peu déçu que le parcours ait été raccourci mais conscient que cela était nécessaire. Puis Namasté. Puis Ramram peu après, toujours sur le 53K. Admiration. Et Polo. Qui boucla la course malgré ses genoux et arriva même bien plus vite qu'il n'avait pensé au départ. Respect.

Jean était heureux. Ce 33km de la Course des Refuges était certainement l'une des plus belles auxquelles il avait participé jusque là. De la montagne. Des lacs, des cascades, de la forêt. Et des cailloux. Plein de cailloux. Des images plein les yeux, des souvenirs plein la tête. Les jours suivants, Jean y repensait sans cesse. Il rêvait de cailloux.

Commentaires

  1. Super comme toujours et toujours autant de plaisir à te lire merci Monsieur Jean
    Polo

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    1. Merci à toi, Polo ! Et bon courage pour la suite. Tiens-moi au courant.

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