Jean, l'aspirant traileur : Trail du Pont d'Espagne 2017


L'hiver avait recouvert le sol de sa douce main blanche. Tels des géants pétrifiés, les grands résineux s'étaient emmitouflés dans leur long manteau neigeux. Au-dessus d'eux, le ciel bleu azur dominait la superbe vallée du Marcadau, fortifiée telle un château imprenable par d'éternels sommets. De rares nuages dessinaient des anges de coton et l'astre solaire illuminait de mille feux ce paradis blanc.

Jean se les gelait. Grave.

On était le 21 janvier 2017. -6° annoncé à la voiture avant d'en sortir. Elle devait mentir, juste pour le rassurer. Toutes ses extrémités menaçaient de tomber et Jean n'osait pas aller pisser, de peur de finir eunuque. Il ne fallait pas avoir la lumière à tous les étages pour être ici et vouloir faire une course par un froid pareil. Il fallait carrément avoir fait sauter le disjoncteur pour vouloir la faire dans cette neige. Le trail était en fait une affaire de névrosés.

Arrivé avec des amis de son club, Jean en avait retrouvé un autre sur place. Agréable moment de partage d'avant-course. Différents niveaux, différentes capacités, mais pour tous le même amour pour le trail. Polo et Aldo étaient, comme
Jean, des nouveaux du club. Ils n'étaient peut-être pas les plus rapides mais ils n'arrêtaient jamais de pédaler ou trotter. A croire que leurs jambes continuaient de fonctionner quand ils dormaient. Ricky, lui, n'était pas du club mais les deux autres ne se déplaçaient jamais sans lui. Un ménage à trois. Nono, c'était un autre spécimen encore. Il venait du grand nord - au-dessus de Bordeaux - et il boxait dans une autre catégorie. Un cran au-dessus des autres. N'ayant pas de chaînes à mettre sur sa voiture pour se rendre au départ de la course, il avait décidé de venir en courant depuis la Raillère. Plusieurs kilomètres. Un simple échauffement.

Jean s'était inscrit sur le 10km mais pour des
raisons de sécurité et de partage du lieu, tous les participants avaient été rapatriés sur une seule boucle réduite à environ 9km. Pas une grande différence pour lui. De toutes façons, il ne se sentait pas vraiment prêt. Après sa pause annuelle, cela faisait trop peu de temps qu'il avait repris et les quelques petits soucis physiques qu'il avait subi ne le rassuraient pas. Il partait avec l'idée que ce serait une séance d'entraînement. A allure tranquille.

Le départ sonna. Un troupeau de fous s'ébroua dans la neige. Comme à son habitude, mauvaise, Jean partit trop vite. Il partit comme un étalon, il tenait plutôt de la bourrique. Le chemin grimpait fortement dès le départ, dans une neige qui se
dérobait sous chaque appui et demandait une grosse débauche d'énergie. Près de 300 coureurs dans un endroit restreint. Il fallait virer à gauche, virer à droite, aller tout droit, ralentir, s'arrêter, accélérer, naviguer entre les jambes, les coudes, les bâtons. Arrivé au bout de cette première montée, le peloton s'était bien étiré et Jean avait les voyants dans le rouge. Il ne put se fier à sa montre cardio qui déconnait à plein tube et lui affichait n'importe quoi mais le souffle qu'il cherchait à reprendre et le cœur qui lui tapait dans les oreilles étaient assez significatifs. Le froid était oublié, la machine surchauffait.

- Tu es vraiment un gros débile lui siffla son corps.
- J'aimerai faire un bon chrono rétorqua Jean.
- Faudrait déjà arriver, crétin.

Jean se calma et prit une allure plus appropriée. Le souffle revint.

Première descente. Jean lâcha les chevaux. Neige molle. Cul par dessus tête, il s'étala. Il vit plusieurs autres coureurs et coureuses faire comme lui. Ce n'était plus une course, mais une compétition artistique de plongeon. Le jury sur le bord de la piste lui mirent un 5, sanctionnant sa réception qui manquait de technique et d'élégance. Jean promit de faire mieux la prochaine fois. Il se releva et reparti.

Chaque pas était un effort, les pieds s'enfonçant juste assez pour absorber toute l'énergie dépensée. Il regardait sans cesse le sol pour trouver des endroits plus durs, éviter les trous sournois où l'on s'écroulait d'un coup jusqu'au mollet ou au genou et qui vous stoppaient net dans votre élan. De temps en temps, il relevait la tête pour admirer l'endroit où il était. Il cru apercevoir le Pic de Nets où il s'était rendu en randonnée quelques mois auparavant. Étrangement, tout cela était un mélange d'effort difficile et de réel plaisir.

Jean croisa un coureur qui allait en sens inverse. Dur d'abandonner. Puis un second, un troisième, un quatrième et encore d'autres. Deux neurones
se connectèrent soudain. C'était les premiers qui étaient déjà de retour. Le nouveau parcours empruntait des passages à double sens. Le moral en prit un coup. La tortue rencontrait les lièvres.

Finalement, l'aller de la boucle était une longue montée plus ou moins prononcée entrecoupée de faux plats plus ou moins longs.

Le long de la course, des bénévoles de l'organisation applaudissaient, encourageaient et indiquaient le chemin à suivre. Emmitouflés dans leurs vêtements chauds mais assaillis par le froid, ces courageux étaient là pour que
quelques fous puissent se faire plaisir. D'autres attendaient à l'arrivée, assurant l'intendance. Les vrais héros n'étaient pas les coureurs, mais bien ces bénévoles qui œuvraient pour que des inconnus puissent s'amuser.

Jean entama le retour. Et ce fut une seconde course qui démarra. La descente fut un grand moment de plaisir. Sauf en certains endroits, la neige était plus dure. Jean, qui n'était pas un grand spécialiste de la descente et qui, de frousse, se retenait facilement, se laissa aller et accepta la pente. Beaucoup moins de risques de perdre une cheville ou un genou. Au pire, ce serait une belle gamelle dans la neige.

L'arrivée n'était plus très loin. Il dépassa un coureur qui parlait tout seul à sa caméra. Vraiment tous névrosés. Et Jean n'était pas le dernier.

- Hé, les gars ! Vous avez 5 femmes devant vous ! s'écria ironiquement une vieille dame sur le bord de la course.
Jean pensa au petit garçon et à sa réflexion lors du Trail du Barétous, environ 8 mois auparavant. Il avait prit un sale coup de vieux.
Jean franchit la ligne d'arrivée, heureux. Il contempla autour de lui ce superbe endroit. Un instant magique. Avec ses amis, il se dirigea vers le lieu de toutes les convoitises. Garbure, jambon et fromage de pays, tranche de gâteau. Le bonheur.

Crédits photos : Alain.

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